top of page

L'âme d'aubépine

Dernière mise à jour : 23 mai




Dans une contrée lointaine et impénétrable vivait Sibylline, la souveraine du Royaume d’Espiritya. Elle était petite et enchanteresse. Sa peau ivoire, ses cheveux d’ébène et ses iris verts la distinguaient des autres. Elle résidait dans la plus majestueuse des aubépines de l’abondante sylve. L’intérieur était aménagé à son image : simple, douillet et chaleureux. Tous les logis étaient en harmonie avec la forme des arbres. Chaque fée choisissait son aubépine pour la vie. La légende racontait que quiconque entrant en contact avec elles pouvait voir ses vœux s’exaucer ou au contraire vivre un véritable enfer. Ce serait au bon vouloir de l’habitante. Mieux valait donc ne jamais défier une créature féerique.


Les aubépines et les fées n’étaient pas les seuls êtres vivants de ce pays. S’y trouvait aussi une grande diversité de plantes. Les ailées les dégustaient et les utilisaient pour la botanique. Des animaux de différentes espèces résidaient aussi là-bas : biches, écureuils, renards, cerfs, chouettes… Ils avaient tous la particularité de posséder des pouvoirs. Leur cohabitation était équilibrée. Les prédateurs chassaient sans excès. En cas de débordement, le Cerf céleste, chef du règne animal, les remettait à leur place. Pour les fées, c’était le rôle de Sibylline. Toutes les espèces se comprenaient grâce à une langue commune : l’Espiritus. Cette dernière s’exprimait à travers les pensées et le regard.


La mer entourait de ses bras le Royaume d’Espiritya. Les Gardiennes, employées par les souverains, avaient créé un bouclier magique pour préserver leur univers idyllique. Jamais cette merveilleuse terre n’avait connu de monarque si proche de ses sujets. Sibylline les invitait régulièrement à des bals organisés dans son château. Les convives variaient d’une fois à l’autre pour que ces événements demeurent accessibles à toutes. La souveraine ne manquait jamais le jour du marché. Elle ne se lassait de découvrir les talents et les productions de chacune. Elles avaient toutes des capacités : couture, décoration, enchantements en tous genres, menuiserie… La Reine admirait ces savoir-faire.


Elle avait, quant à elle, le pouvoir de prémonition. Ce don n’avait pas toujours été aisé à porter. Prédire des destins funestes et les voir se réaliser lui avaient valu bien des ressentiments. Néanmoins, la jeune fée contrecarrait aisément cette part sombre de son âme par sa personnalité solaire. Ainsi, elle se fit assez rapidement apprécier de son peuple, malgré quelques réserves persistantes chez certaines. Les ailées finirent par comprendre que ces prémonitions n’étaient pas une malédiction, mais un don. Grâce à celui-ci, le futur pouvait être remodelé. Le Royaume d’Espiritya semblait destiné à un avenir radieux…


Jusqu’au jour où la Reine eut une nouvelle vision : des ogres envahissant ses terres et l’emportant avec eux. Des questions se bousculèrent dans son esprit : Que feraient les fées sans elle ? Devait-elle faire éclore une héritière pour assurer leurs arrières ? Que lui voulaient ces créatures ? D’après la vision, elles n’étaient pas menaçantes, mais elles l’avaient tout de même endormie pour l’emmener sans rencontrer de résistance ! De plus, ces vils êtres ne venaient jamais pavés de bonnes intentions. Persuadée que la faille provenait du bouclier, elle ordonna à ses Gardiennes de le renforcer et d’en créer un autre. Celles-ci s’exécutèrent, puis Sibylline réalisa un test de sécurité. Il se révéla concluant. Satisfaite, elle songea qu’elle avait remédié au problème. Le soir même, sa prédiction revint la hanter. Le lendemain, elle demanda une troisième protection. La prémonition demeura inchangée. Elle chargea les fées d’apprendre à se battre et à manier toutes sortes d’armes magiques. Ces dernières hésitèrent, étant pacifistes, mais la souveraine insista si fermement qu’elles n’osèrent point broncher. Toutefois, leur confiance avait été ébranlée.


Le soir même, la vision resurgit, impitoyable. La monarque se réveilla, le cœur battant. Ses cheveux de jais étaient dressés sur sa tête. Elle fit les cent pas, s’arrêta. Si je me cloîtrais dans mon aubépine, tout le monde serait épargné. C’est après moi qu’ils en ont !


C’est ainsi qu’elle érigea une redoutable forteresse, rendant son palais invisible aux yeux des intrus. Son peuple ne comprit pas sa décision. De chaleureuse, la Reine était devenue de glace, ne s’occupant plus que d’elle-même. De peur de les effrayer, elle ne leur avait rien confié. Malgré ses agissements, la prophétie revint chaque soir la visiter, comme un vieux démon.


Ces fois-ci, les ogres l’interpelaient, l’enjoignaient à se réveiller. Quelle drôle de prémonition pour elle qui était clairvoyante ! La vision du jour suivant était plus précise et plus palpable : les protagonistes la secouaient, puis faisaient pression sur sa poitrine. Essayaient-ils de la sauver ou de l’assassiner ? Sibylline eut l’impression de suffoquer. Ses paupières papillonnèrent, la laissant entrevoir un halo d’une pâleur incandescente. Ses yeux se refermèrent.


La nuit suivante, elle entendit une voix lointaine : « Reviens, ne me laisse pas ! ». Elle sentit quelques larmes rouler doucement le long de ses joues. Qui était-ce ? Le son sembla se rapprocher, deux petites mains empoignèrent ses épaules : « Je sais, tu as mal, mais moi aussi ! J’ai besoin de toi ! ». Une image s’imposa à elle : un jeune lutin au regard chocolat arborait un sourire lumineux : « Tu viens, maman ? Papa nous attend. ». Une voix familière et douce retentit : « Oui, chéri, j’arrive ! ». La créature tendit la main, une paume ivoire la saisit. Sibylline sentit que quelque chose clochait avec l’apparence de cet être. Elle plissa les yeux, il prit alors la forme d’une espèce qu’elle pensait inconnue. Ses iris s’écarquillèrent, son cœur s’accéléra, les perles tracèrent des sillons sur son visage. Elle sentit sa poitrine remonter brusquement. Elle esquissa un geste, mais rencontra une résistance. Un lien entravait son bras. Qu’est-ce que c’est ?



« Elle réagit, monsieur ! » « Oui, écarte-toi ! ». Sibylline cligna des yeux, les ouvrit péniblement. Nulle fée, nul arbre, nul royaume ici-bas. Elle était entourée d’une blancheur éclatante, d’ogres et d’un charmant petit lutin… Non… La Reine n’avait jamais existé, c’était un rôle qu’elle s’était inventée pour fuir la réalité. Se trouvaient à ses côtés les infirmiers, le médecin et son fils. Elle avait eu un accident de voiture, son mari y avait laissé la vie. Comment ai-je pu oublier tout ça ? Comme en écho à ses pensées, le docteur intervint : « Vous vivez un choc psychologique, madame. Nous réagissons chacun différemment. Vous avez nié la réalité au point de vous en couper. Ne vous inquiétez pas, nous veillons sur vous. ».


Sur ces mots, un enfant aux prunelles chocolat luisantes l’enlaça affectueusement : « Maman, tu m’as trop manqué ! ». Encore sous le choc, elle balbutia : « J...Je me suis absentée si longtemps ? ». « Oui, tu étais dans le coma depuis un mois, mais tu es revenue pour moi, hein ? ». Elle hocha doucement la tête, les pièces du puzzle se rassemblaient progressivement : « Je me souviens d’une voix qui m’appelait, c’était toi ? ». « Oui, papa est parti, je ne voulais pas que tu fasses p...pareil. ». Son petit menton tremblait, Sibylline lui prit la main : « Je suis là maintenant. ». Elle grimaça, remarquant la perfusion à son bras. « En choisissant la vie et votre fils, vous avez fait un premier pas vers la guérison. Une psychologue peut vous être proposée. », répliqua le médecin.


Les limbes se dissipaient, laissant la place à l’émotion de son tendre petit. Il lui sembla, au détour d’un couloir, voir son époux lui sourire. Il lui communiqua tant de confiance et d’amour qu’elle sut que tout irait mieux avec le temps. Ayant vécu dans l’entre-deux, elle était convaincue qu’une part de lui serait toujours là, quelque part. Elle répondit alors au thérapeute après avoir observé son enfant au regard empli d’espoir : « J’accepte. ».


Le lendemain, à son réveil, une fleur d’aubépine ornait sa table de chevet.


Adeline


Photo prise par moi

Kommentarer


© 2025 par Adeline à la ligne. Créé avec Wix.com

Copyright Adeline Daumin ©

Tous les écrits, photos prises par mes soins, portrait(s) photographié(s) par Natalia et visuels Canva présents sur ce blog sont protégés par la loi des droits d'auteur et ne sont pas libres de droits.

bottom of page